MÉMOIRE
Sauvegardons nos végétaux patrimoniaux!

Présenté dans le cadre de la Consultation publique à propos du PLAN de CONSERVATION du SITE PATRIMONIAL de SILLERY

par Suzanne Hardy,
phytotechnicienne, présidente et porte-parole d’ENRACINART

NOTRE ORGANISME

L’auteure de ces lignes s’adonne à la botanique depuis quarante (40) années…Elle s’intéresse au patrimoine végétal du Québec et de la grande région de sa Capitale Nationale depuis le début des années 1990, le caractérisant, l’illustrant et le présentant lors de diaporamas-conférences ou d’animations sur le terrain pour le compte, entre autres, du Conseil des Monuments et des Sites du Québec (aujourd’hui nommé Action Patrimoine). Aux fins de sensibiliser la population à la richesse de son patrimoine végétal indigène et d’origine horticole, elle a créé en 1996, en complicité avec sa collègue Claire Morel, photographe naturaliste et historienne de l’art, l’organisme à but non lucratif ENRACINART.

Dès les débuts de nos activités, nous nous sommes intéressées à la richesse de l’histoire des sciences naturelles rattachée à Sillery et à son Arrondissement historique (aujourd’hui rebaptisé site patrimonial de Sillery) et avons publié en 1996, un article paru dans le bulletin de la Société des Ami(e)s du Jardin Van den Hende : Trois grandes dames botanistes à Sillery au XIXe siècle.

Cet article sera plus tard repris par monsieur Roger Van den Hende, créateur du jardin du même nom, situé sur le campus de l’Université Laval, dans ses écrits sur l’histoire de la botanique dans le monde entier. En 2008, ce même article, cette fois renommé Les ladies de Sillery, s’attardant sur une page très importante de l’histoire des sciences naturelles du Québec sera repris dans un numéro spécial du magazine Quatre-Temps, la revue des amis du Jardin botanique de Montréal, sous le thème : 400 ans d’histoire botanique du Québec.

Au fil du temps, sans délaisser ses intérêts pour tous les végétaux vasculaires indigènes ou cultivés au jardin, notre entreprise s’est spécialisée dans l’étude des arbres remarquables de la province toute entière, un élément fort intéressant de notre biodiversité historique. Nous avons ainsi assemblé une base de données illustrée et géoréférencée relative à environ 5000 arbres remarquables répartis partout sur le territoire québécois, enrichie d’une multitude d’informations historiques. Le tout dans le but d’associer l’histoire de la conservation et de la culture des arbres à celle des diverses communautés de notre province.

En 2008, nous avons reçu un mandat fort intéressant de la part de la Division culture, loisir et vie communautaire, de l’Arrondissement de Sainte-Foy-Sillery, de la Ville de Québec : agir à titre de commissaire à la préparation d’une exposition qui a été présentée à la Villa Bagatelle dans le cadre des festivités de notre 400e anniversaire : La forêt de Sillery, un remarquable patrimoine sylvestre! Encore une fois, nous avions l’occasion de nous replonger dans l’histoire du mouvement pittoresque, de l’étude des sciences naturelles, de la sylviculture et de l’horticulture à Sillery et plus particulièrement, dans son arrondissement historique. Notre très riche banque de données historiques et de photographies à propos de nombreux végétaux était mise à contribution!

En 2009, nous avons publié Nos Champions : les arbres remarquables de la Capitale, un ouvrage co-édité par la Commission de la Capitale Nationale du Québec (CCBN) et les Éditions Berger, portant sur les plus beaux sujets arborescents du territoire rive nord/rive sud de notre région administrative. Du même coup, notre grille des critères de «remarquabilité» que nous avions créée, depuis toutes ces années, dans le but d’évaluer et de caractériser les arbres patrimoniaux et remarquables où qu’ils soient, devenait protégée par un droit d’auteur.

En 2010, nous avons reçu du bureau du Mont-Royal alors associé au Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, le mandat de réaliser un inventaire géoréférencé et photographique des arbres remarquables de l’Arrondissement Historique et naturel du Mont-Royal, en reprenant le travail «bousillé» par une firme de biologistes de Montréal.

En 2011 et en 2012 les fonctionnaires de la Division de la forêt urbaine et de l’horticulture du Service de l’Environnement de la Ville de Québec, nous mandataient pour la réalisation de l’Inventaire géoréférencé et illustré des arbres patrimoniaux et remarquables des propriétés privées de son territoire. Nous nous y sommes attaqué en réalisant d’abord,en 2011, une première phase d’inventaire sur l’axe névralgique Grande-Allée-Chemin Saint-Louis, où par expérience, et après tant d’années d’exploration sur le terrain, nous connaissions la grande valeur des arbres. Puis, en 2012, nous avons complété cet inventaire en visitant les arbres d’intérêt de propriétés ciblées dans tous les arrondissements de la ville.

NOS CONSTATATIONS

Nous avons combiné nos résultats d’inventaire d’arbres patrimoniaux de 2011 et de 2012 auquels nous avons dû opérer des soustractions déchirantes afin de ne pas dépasser un nombre (fixé à l’aveuglette…) de 250 arbres privés que le Service de l’Environnement semblait vouloir se limiter à daigner consentir protéger… Au total, donc, nous avons recensé 122 arbres patrimoniaux dont 56 sujets remarquables pour le seul territoire du site patrimonial de Sillery. C’est donc dire que cet espace que l’on appelait autrefois l’Arrondissement Historique de Sillery supporte à lui seul plus du quart (122/480) de tous les arbres patrimoniaux et plus de 20% de tous les arbres remarquables (56/264) parmi tous les sujets arborescents d’intérêt, de nature privée, que nous avons recensés sur le territoire de Québec. Une richesse! Et encore, nous n’avons pas tenu compte dans notre inventaire des très nombreux arbres qui se développent eux aussi au sein du Site patrimonial de Sillery mais semblent un peu moins en péril : les arbres d’intérêt des domaines publics du Bois-de-Coulonge et de Cataraqui qui sont sous la responsabilité de la Commission de la Capitale Nationale du Québec, certains sujets ligneux du Cimetière Mount Hermon et la quasi totalité des ormes d’Amérique qui font l’objet d’un sérieux «monitoring» annuel opéré par la Ville de Québec. Si nous avions tenu compte de tous ces arbres patrimoniaux qui sont tout aussi précieux que nos 480 arbres privés, nous serions parvenues à faire une démonstration encore plus éblouissante de la richesse inestimable que constitue l’ensemble des arbres patrimoniaux du Site patrimonial de Sillery!

Pour illustrer la richesse de nos trouvailles, mentionnons un arbre tout à fait remarquable, un SPÉCIMEN UNIQUE à Québec (et fort probablement dans toute la province, hors collection)  se trouvant sur le site de la Fédération des Augustines :

  • SITI 019-REM 045-Marronnier de Baumann-087-CRÉG. DIM QH PH R spéc.

Le Marronnier de Baumann (Aesculus Hippocastanum « Baumannii ») est un cultivar à fleurs doubles du fameux Marronnier d’Inde que l’on retrouve, pour sa part, assez souvent dans les jardins. Il a été découvert en 1819, par Constantin Auguste Napoléon Baumann (1804-1884) sous la forme d’une inflorescence «bien touffue» parmi les groupes de fleurs simples d’un marronnier d’Inde d’allure tout à fait normale, dans le jardin d’un dénommé Duval, près de Genève. Baumann s’est empressé de faire parvenir des greffons de cette «curiosité botanique» à son père pour qu’il les reproduisent dans sa pépinière de Bollwiller, en Alsace. Vers 1850, on a commencé à vendre ce marronnier en Amérique du Nord où il est devenu passablement «à la mode», au début du vingtième siècle. Les sœurs Augustines de la Miséricorde de Jésus, c’est connu, ont toujours eu un certain faible pour les marronniers : elles en faisaient même la culture en pépinière, à une certaine époque, sur la rive-sud de Québec.

Notre inventaire d’arbres patrimoniaux et remarquables comporte plusieurs autres exemples d’arbres rares : parmi nos 264 arbres remarquables recensés nous avons identifiés 68 spécimens (26%) qui appartiennent à des espèces botaniques dont on retrouve moins de vingt-cinq (25), vingt (20), quinze (15), dix (10), cinq (5) «exemplaires» sur tout le territoire de la ville de Québec. Parmi ces espèces, mentionnons le cas de l’unique essence indigène, l’Ostryer de Virginie présent à raison de quelques individus, seulement, au sein du Site patrimonial de Sillery. Le Plan de Conservation de ce site mentionne d’ailleurs cette espèce en la qualifiant de longévive alors qu’elle ne vit que 75 années…Au cours de notre sélection des arbres les plus spectaculaires de notre inventaire, nous avons privilégié les spécimens appartenant au PATRIMOINE HORTICOLE et au PATRIMOINE PAYSAGER, deux catégories parmi les «critères de remarquabilité» décrits dans notre ouvrage : Nos Champions : Les arbres remarquables de la Capital.

Ces arbres qui ne cessent de se raréfier, sont tantôt, des représentants d’espèces dont la culture et/ou la conservation était à la mode à une certaine époque…tantôt, des témoins vivants d’anciennes formations végétales telles les haies de frêne blanc bordant de vastes propriétés. Nous avons aussi privilégié les groupes d’arbres, car c’est bien connu, «les arbres se rendent des services mutuels». Parmi eux, se trouve la «fameuse collection» formée d’un quatuor d’érables à sucre patriarches décrétés champions ex aequo  de la ville de Québec qui se trouvent dans un lambeau de forêt à l’ouest du Cimetière Saint-Patrick. C’est là que se situait le Domaine Woodfield où ont vécu jusqu’en 1847, environ, deux célèbres naturalistes : William Sheppard, marchand de bois et «père de Bergerville», où vivaient une grande partie de ses ouvriers, et sa conjointe, Harriett Campbell. Entourant leur villa surmontée d’un observatoire d’astronomie, une forêt était sillonnée de sentiers sinueux à la mode du «pittoresque» Parmi les vestiges de cette forêt à laquelle appartenait une érablière sucrière et des plantations qui l’ont complétée, nous avons recensés un total de 19 spécimens ligneux patrimoniaux dont 11 sujets REMARQUABLES.Notre quatuor de vieux érables se déploient parmi un lambeau d’érablière visiblement très âgée, dite inéquienne, dont tous les sujets présentent une grande diversité de diamètres de troncs. Il n’y a pas si longtemps, contre toute attente, l’ail des bois, une espèce vulnérable protégée par la loi au Québec, que l’on croyait définitivement disparue du territoire des anciennes villes de Sillery et de Québec, y est miraculeusement réapparue! Nos érables à sucre s’y reproduisent à profusion et possèdent encore, selon toute apparence, une belle espérance de vie!

Nos champions :
Les arbres remarquables de la Capitale
SUZANNE HARDY


Éditions BERGER,
Commission de la Capitale-Nationale,
224 pages
ISBN 978-2-921416-77-1

Au terme de toutes nos années de pérégrinations, de mesurage de plusieurs miliers d’arbres, de cueillette d’une foule d’informations de nature historique et de chasse photographique à la conquête de quelques dizaines de milliers d’images, nous sommes en mesure d’affirmer : Grâce aux fusions municipales, la Ville de Québec a hérité d’un trésor au point de vue de sa richesse floristique lorsqu’elle a greffé à son territoire l’ancienne ville de Sillery là où la réglementation visant à protéger les arbres, historiquement, a toujours été réputée sévère! Lisez, à ce sujet, un court texte à propos du Chêne rouge tiré de notre exposition La forêt de Sillery, un remarquable patrimoine sylvestre!

«En 1541, Jacques Cartier découvrait à l’embouchure de la rivière du Cap-Rouge les majestueux chênes chargés de glands. Bientôt, prudemment, le roi de France interdisait aux seigneurs d’abattre les chênes, se réservant pour la construction navale cette ressource pourtant perçue inépuisable. Un siècle après la fin du régime seigneurial, le marchand de bois John Roche est élu maire de Sillery, en 1866. Afin d’y ramener l’ordre, aussitôt Roche nomme-t-il un constable municipal, Bernard Kelly. Il deviendra fort actif en octobre, au moment de la glandée des chênes rouges, alors que ces nobles arbres sont abîmés et dépouillés de leurs fruits par les gredins, causant ainsi préjudice aux propriétaires des villas de Sillery»

Notre communauté s’est enrichie de la plus magnifique collection de pins blancs et de chênes rouges matures à exister au Québec, en une si grande concentration, à l’intérieur d’une ville aussi populeuse et urbanisée que la nôtre! Selon les mesures des dendrochronologues, ces arbres se sont parfois enracinés il y a deux cent ans ou plus sur les sols minces, secs et acides qui ont évolué sur la formation géologique schisteuse portant le nom de Sillery. Voilà tout un patrimoine!

Nous trouvons ces arbres joufflus du côté nord et du côté sud du chemin Saint-Louis, à l’intérieur de son arrodissement historique et en particulier aussi, au sein du premier cimetière-jardin créé au Québec : le cimetière Mount-Hermon. Parmi eux, d’autres spécimens tout aussi âgés appartenant à d’autres essences tel l’érable à sucre, le frêne blanc et le rare tilleul d’Amérique se dressent. À travers cette forêt d’un autre siècle se sont maintenues en place, depuis parfois cent cinquante ans, des colonies uniques au Canada de végétaux, en provenance d’Europe et d’Asie introduits par les barons du bois et d’autres aristocrates dans leurs jardins. Certaines de ces plantes extraordinaies telles les anémones Sylvie et Sylvie jaune, la violette odorante pour ainsi dire exclusive aux grands domaines de Sillery, au Québec, le lis martagon et d’autres encore, témoins vivants de l’époque du mouvement pittoresque alors que les allées sinueuses serpentaient à travers les denses boisés de Sillery, ont d’ailleurs fait l’objet de recherches lorsque le ministère de la Culture était encore à l’étape de chercher une façon de valoriser le domaine Cataraqui…Et encore aujourd’hui, ce patrimoine est toujours bien vivant!

Malheureusement, avec les années, tout ce magnifique patrimoine végétal s’est quelque peu clairsemé. Des constructions qui ont été édifiées sans trop réfléchir à l’intérieur de l’Arrondissement Historique de Sillery comme c’est le cas du boisé des Augustines, en 1988, ont eu des conséquences catastrophiques : mentionnons, entre autres, un arbre très rare, l’orme de Camperdown dont la présence était associée, vers 1870, à la vie de l’ancien lieutenant-gouverneur René Édouard Caron, qui est disparu peu de temps après la construction de ce complexe dans l’Arrondissement Historique de Sillery…

Nous l’avons vérifié partout au sommet de l’escarpement de l’Arrondissement Historique de Sillery et nous l’avons aussi constaté lors de nos travaux autour des buildings qui entourent et étouffent le mont Royal : les arbres sont tout à fait allergiques aux tourbillons de vent créés par les constructions en hauteur et sont susceptibles d’être renversés à tout moment. Ils le sont d’autant plus à Sillery, puisqu’ils s’agrippent désespérément à une mince couche de sol qui tapisse une roche mère qui s’effrite en lamelles! Petit à petit, d’année en année, nous perdons ainsi des patriarches de notre forêt autochtone, les conditions d’ensoleillement se modifient, les colonies de plantes rares sont menacées de disparaître. C’est un fait! Ce n’est pas un conte de fées!

NOS CONCLUSIONS

Le temps est venu non pas de densifier l’habitation au niveau du territoire du site patrimonial de Sillery mais plutôt, de densifier son patrimoine sylvestre résolument tout à fait unique au Québec : pour ce faire nous pourrions y aménager un Parc des Grands-Domaines et l’offrir à la population québécoise ou étrangère férue des sciences naturelles et du patrimoine. Ce site chargé d’histoire deviendrait alors beaucoup plus qu’un promontoire duquel on regarde, au loin, le fleuve tranquille, à la faveur d’une percée visuelle. Mais ce lieu magnifique,véritable berceau de l’étude de  la botanique et de l’ornithologie en Amérique du Nord, pourrait devenir une école de sylviculture, un laboratoire à ciel ouvert pour l’étude de la dendrochronologie de ses arbres irréductibles qui ont la vie dure! Nous pourrions aussi y oeuver à développer des techniques pour reproduire, entre autres, le pin blanc dont les colonies ne couvrent plus qu’un pourcent (1%) du territoire qu’elles occupaient, partout en Amérique du Nord,  au début de la colonie…ou encore reproduire la lignée des chênes rouges typique du terroir de la formation géologique de Sillery (actuellement les chênes rouges plantés à Québec proviennent parfois d’aussi loin que de l’Orégon!). Une façon tout à fait extraordinaire d’enseigner aux générations à venir les valeurs culturelles de conservation de la nature qui ont toujours régné au sein des générations de personnes qui ont vécu sur le site patrimonial de Sillery!